Amérique latine : zoom sur le real brésilien et le peso mexicain
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La pandémie de covid-19 a frappé très durement l’Amérique latine depuis le début de la crise.
Les autorités de la région ont, pour la plupart, eu du mal à contenir des niveaux très importants de contagion virale. En pourcentage de la population, le Pérou et le Chili sont les pays les plus touchés (Graphique 1), même si cela ne tient pas compte du nombre limité de tests effectués au Mexique jusqu’à présent (environ 19 000 tests pour 1 million de personnes contre 139 000 au Pérou et 234 000 au Chili).

Les décès dus au covid-19 en pourcentage de la population place également le Pérou comme le pays le plus touché de la région. Ces informations tendent à donner une représentation plus précise de la gravité de la propagation du virus dans les pays où les niveaux de dépistage sont insuffisants. À l’exception du micro-état de Saint-Marin et de la Belgique, le Pérou compte ainsi actuellement le plus grand nombre de décès des suites du covid-19 par habitant au monde (1 044 pour 1 million d’habitants) selon les compteurs mondiaux. Le Brésil (752), le Chili (746) et le Mexique (712) ne sont pas très loin derrière. La Colombie, quant à elle, a le moins de décès à ce jour (620 pour 1 million d’habitants).

Comme partout dans le monde, les différentes mesures nationales et régionales mises en place pour limiter la propagation du virus ont pesé de manière significative sur l’activité économique en Amérique latine. En raison d’un confinement beaucoup plus strict, l’économie péruvienne a enregistré la plus forte contraction au deuxième trimestre de l’année (-27,2% T / T), le Brésil (-9,7%) quant à lui a le mieux résisté en enregistrant la plus faible contraction. Depuis lors, nous avons assisté à un rebond généralisé de la production économique dans la région, les restrictions ayant été progressivement levées. Les dépenses de consommation, représentées par les ventes au détail, ont fortement rebondi dans certains cas (notamment au Brésil et au Chili), où des plans importants de soutien budgétaire ont été mis en place par les gouvernements, et sont restés modérés dans d’autres (comme la Colombie et le Mexique). Le chômage s’est atténué depuis le pic de la crise, bien qu’il reste élevé dans la région et au-dessus des niveaux d’avant la pandémie, le Pérou a été particulièrement touché (+9,4 %).

Le déclenchement de la pandémie a créé un environnement de réduction importante du risque sur les marchés financiers au cours du premier trimestre de 2020. Alors que la plupart des devises des marchés émergents ont rebondi depuis leur chute, la majorité continue de se négocier à la baisse par rapport au dollar américain depuis le début de l’année. Le peso chilien (CLP) s’est révélé le plus résistant et a pratiquement effacé ces pertes par rapport au dollar depuis le début de l’année (Graphique 4). En revanche, le real brésilien s’est vendu de manière agressive au cours des derniers mois et a été l’une des devises les moins performantes au monde cette année.

Nous pensons que ces ventes ont laissé les cinq devises à des niveaux qui ne sont pas nécessairement justifiés par les fondamentaux économiques. Nous prévoyons donc un rebond de ces devises par rapport au dollar américain d’ici la fin 2021, compte tenu notamment d’une reprise de l’appétit pour le risque une fois la pandémie mondiale maîtrisée. Nous pensons que la majeure partie de ces gains arrivera d’ici la fin du premier trimestre 2021, lorsque des avancées sur le déploiement d’un vaccin seront visibles. Une résurgence du virus dans la région dans les mois à venir présente cependant un risque baissier pour ces devises.
Real brésilien (BRL)
Le real brésilien (BRL) a été l’une des devises les moins performantes au monde depuis que la covid-19 est devenue une pandémie mondiale.
La devise a perdu jusqu’à un tiers de sa valeur par rapport au dollar américain. Les investisseurs se sont précipités vers les actifs jugés moins risqués et ont donc mécaniquement pénalisé celles présentant un risque plus élevé au cours du premier semestre 2020. La devise a rebondi brusquement jusqu’au début du mois de juin, bien qu’elle ait de nouveau été vendue au cours des quatres derniers mois jusqu’à la fin octobre. Le real s’est cependant fortement redressé suite aux élections américaines (Graphique 1).

La gestion critiquée de la pandémie par les autorités brésiliennes est à l’origine d’une grande partie de l’effondrement du real au deuxième trimestre de l’année. Le président d’extrême droite Jair Bolsonaro a adopté une approche polémique pour faire face à la pandémie de covid-19, encourageant activement les gens à défier la distanciation sociale, à ignorer le confinement régional et à participer à de grands rassemblements. Il a également donné son feu vert pour la distribution en masse de la chloroquine, malgré le manque de preuves scientifiques quant à son efficacité face au virus.
Le Brésil a maintenant accumulé le troisième plus grand nombre de contaminations dans le monde, plus de 5,5 millions et plus de 160 000 décès au moment de la rédaction de cet article. Ces chiffres sont probablement beaucoup plus élevés en réalité car le nombre de tests reste relativement limité ; 103 tests effectués pour 1 000 personnes contre 450 pour 1 000 aux États-Unis. Les nouvelles contaminations ont cependant commencé à s’atténuer progressivement au Brésil au cours des dernières semaines, bien que la décrue soit assez lente. La moyenne mobile sur une semaine des décès causés par le virus a également ralenti, mais à nouveau très progressivement et à un rythme beaucoup plus lent que celui observé dans les pays développés.
Les rapports selon lesquels la majorité de la population de certaines des plus grandes villes du Brésil ont ignoré les consignes d’isolement auraient probablement contribué à propager le virus à un rythme plus rapide que dans une grande partie du monde. Cette incapacité à contenir le nombre de nouvelles infections risque d’ancrer le Brésil dans une période de récession prolongée. Le Brésil est entré en récession au 2ème trimestre, affichant une contraction record de 9,7% en rythme trimestriel. Depuis lors, les données d’activité se sont montrées encourageantes, notamment le retour des ventes au détail en territoire positif des mois de mai à août. Les ventes ont augmenté de 6,1% en rythme annuel en août, en raison d’un assouplissement des restrictions et des mesures de relance budgétaire ciblant les familles à faible revenu. La dynamique de l’activité des dépenses de consommation semble toutefois s’atténuer et devrait encore ralentir si le soutien budgétaire s’arrête avant la fin de l’année, comme cela est prévu.

Même avant la pandémie, les investisseurs avaient placé une prime de risque importante sur le Brésil en raison de l’incertitude politique accrue du pays. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, le président Bolsonaro a été confronté à des allégations de corruption qui ont abouti à des appels à sa destitution, bien que cela semble maintenant une possibilité lointaine. Jusqu’à récemment, les investisseurs étaient récompensés par les taux d’intérêt réels très élevés au Brésil pour compenser la prime de risque politique, les taux d’intérêt ont culminé à près de 8% en 2017. Une série de baisses de taux d’intérêt de la Banque centrale du Brésil cette année en réponse à la crise a cependant considérablement réduit l’attrait de la monnaie. Les taux ont été réduits d’un total de 225 points de base depuis le début de la pandémie. La banque centrale a réduit de 25 points de base supplémentaires lors de sa réunion de septembre à un niveau record de 2%. Cela a considérablement nui à l’attrait du Brésil du point de vue de l’investissement, en particulier maintenant que les taux d’intérêt réels sont tombés en territoire négatif pour la première fois depuis décembre 1997.
Il y a cependant de bonnes nouvelles concernant les fondamentaux macroéconomiques du Brésil qui restent bons. En se focalisant uniquement sur les fondamentaux, nous pensons que le BRL est l’une des devises émergentes les plus résilientes pour faire face à de nouveaux risques baissier dû à la pandémie.
- Des réserves de change importantes et équivalentes à environ 30 mois de couverture des importations. C’est une quantité suffisante de munitions pour que la banque centrale du Brésil intervienne avec succès sur le marché afin d’inverser la vente de la devise. Le président de la banque centrale, Roberto Campos Neto, a déclaré que la banque disposait d’une grande marge d’intervention et pourrait intensifier ses efforts pour soutenir la monnaie, si elle le juge nécessaire. Il a cependant noté en septembre que la banque «manquait des outils appropriés pour lutter contre la forte volatilité», déclarant qu’il était plus simple de s’attaquer à la faiblesse de la monnaie.
- Un faible niveau de dette extérieure équivalant à environ 18% du PIB, endettement parmi les plus faibles d’Amérique du Sud. La récente dépréciation du BRL augmente cependant la valeur réelle du remboursement de la dette.
- Un déficit de la balance courante gérable et décroissant. Le déficit s’établissait à 2,7% du PIB en 2019, la balance est relativement équilibré fin 2020, grâce à des flux positifs continus entre avril et septembre.
- La dépréciation du real ne semble pas se traduire par une inflation sensiblement plus élevée, de sorte qu’une spirale inflationniste dans laquelle la dépréciation de la monnaie se nourrit d’elle-même semble peu probable.

Compte tenu des facteurs de soutien ci-dessus et de notre opinion selon laquelle la devise est bon marché aux niveaux actuels, nous ne pensons pas qu’une poursuite de la vente du real au taux observé depuis le début de la crise soit probable à long terme. Nous envisageons plutôt une reprise de la devise par rapport au dollar jusqu’à la fin de 2021, et nous pensons que les solides fondamentaux macroéconomiques du Brésil devraient permettre à la monnaie de rebondir avec succès une fois que le pire de la crise sera passé.
Le principal problème pour le real sera la faculté du Brésil à contenir et endiguer la propagation du covid-19. L’incapacité à le faire par rapport aux autres pays du monde, et les dommages économiques que cela entraînerait, reste le risque plus important à la baisse selon nos perspectives.
Peso mexicain (MXN)
Le peso mexicain (MXN) a été l’une des devises les moins performantes au monde en mars et avril. Le MXN a perdu environ un tiers de sa valeur au cours des trois premières semaines du mois de mars. Le peso a touché son plus bas historique par rapport au dollar américain.
La devise a fortement rebondi aux deuxième et troisième trimestres de l’année, remontant à sa position la plus forte depuis début mars au mois de septembre, les investisseurs privilégiant à nouveau les actifs plus risqués. Le peso a de nouveau été vendu fin septembre, même s’il est maintenant revenu juste au-dessus de 20 par rapport au dollar après l’élection américaine.

L’attrait du peso dans une logique d’investissement a été l’une des principales raisons de la baisse de la devise au début de l’année. Ces devises ont tendance à subir des liquidations plus importantes pendant les environnements de «risk off», car les investisseurs dénouent des positions acheteuses et quittent ces investissements en masse. C’est pour cette raison que le peso mexicain a été l’une des devises émergentes les plus performantes depuis le creux du marché, bien que son attrait en tant que stratégie d’investissement ait diminué depuis le début de la pandémie. Banxico a abaissé ses taux d’intérêt de manière agressive, abaissant son taux directeur d’un total de 300 points de base à 4,25%. La décision de réduire les taux lors de la dernière réunion de la banque centrale en septembre a marqué la onzième réunion de baisse consécutive. La réduction de 25 points de base était cependant inférieure aux 50 points de base des réductions effectuées lors des cinq réunions précédentes, en partie en raison d’une inflation intérieure plus élevée. De nouvelles réductions présentent un risque de baisse possible pour le peso, d’autant plus que les taux d’intérêt élevés du Mexique ont longtemps été l’un des principaux attraits de la devise pour les investisseurs étrangers.
La réticence du gouvernement mexicain à dépenser de l’argent pour protéger l’économie est une autre source de préoccupation parmi les traders de devises. Contrairement à la plupart des pays du monde, le président mexicain, López Obrador, a résisté aux pressions visant à assouplir la politique budgétaire. Obrador a exprimé ses inquiétudes quant à l’endettement supplémentaire, malgré les niveaux relativement bas de la dette publique par rapport au PIB du pays. Dans l’état actuel des choses, le Mexique devrait augmenter ses dépenses de moins de 1% du PIB cette année, un niveau très modeste par rapport à la plupart des autres pays.
Comme beaucoup de pays, la propagation du covid-19 est devenue aujourd’hui beaucoup plus agressive au Mexique. Bien que le pays réalise peu de tests de dépistage, le Mexique compte désormais le dixième plus grand nombre de cas confirmés de covid-19. Le ratio mexicain de décès pour 1 000 personnes est également comparable à celui des États-Unis, bien que le pays n’effectue pas autant de tests, environ 4% de ceux entrepris aux Etats-Unis Ce niveau élevé d’infection est peut-être dû au fait que le président Andrés Manuel López Obrador a tardé à imposer des mesures de confinement et que la réouverture en mai s’est faite rapidement en raison des craintes de ralentissement de l’économie du pays.

Même avant la crise actuelle, l’économie du pays était sous pression, se contractant lors des trimestres précédant la pandémie. Depuis le début de la pandémie, les données d’activité se sont encore détériorées sans surprise, la chute de 17,1% de l’activité au deuxième trimestre de l’année étant l’une des plus fortes baisses de la région. Cette piètre performance économique a encore aggravé la satisfaction à l’égard du président Obrador, qui a vu un effondrement de sa cote de popularité depuis son entrée en fonction. Depuis lors, la reprise n’a pas été aussi rapide que celle observée dans d’autres pays, les ventes au détail par exemple, sont restées inférieures de plus de 10% à celles d’août. Nous pensons qu’une grande partie de ce ralentissement de la reprise est dû aux licenciements massifs au Mexique. Environ 12 millions d’emplois ont été perdus au plus fort du confinement de mars à mai (environ 21% de la population active totale) en raison d’un manque de soutien de la part du gouvernement mexicain.
Cela dit, nous continuons de penser que le peso est dans une bonne position pour afficher des gains modestes par rapport au dollar américain l’année prochaine. La dépendance extérieure du Mexique s’est améliorée, la balance courante étant largement stable l’année dernière et devrait afficher sa meilleure performance depuis la fin des années 80 cette année. Le niveau de la dette extérieure du pays est faible par rapport à bon nombre de pays de la région, environ 30% du PIB. Les taux d’intérêt réels restent positifs pour le moment, même si une forte hausse de l’inflation à la consommation et un récent assouplissement de la politique de la banque centrale signifient que le taux de rendement réel des actifs mexicains pourrait baisser assez fortement par rapport à la période pré-covid.

Nous pensons qu’il existe suffisamment de facteurs de soutien pour que le peso puisse enregistrer des gains corrects par rapport à ce que nous pensons être un dollar américain largement plus faible dans les douze prochains mois environ. Cependant, la réticence du gouvernement mexicain à soutenir l’économie par des dépenses budgétaires fait que nous pensons que ces gains pourraient être légèrement moins prononcés qu’ils ne l’auraient été autrement.